Contrairement aux allégations du collectif RUNE, les projets de loi d’investissement du Département de l’instruction publique (DIP) en matière d’équipements numériques ( PL 13010 et 13011 ) répondent à des besoins pédagogiques clairs et font l’objet d’une demande forte du corps enseignant. Ils sont, en outre, le fruit d’une concertation constructive et fructueuse entre le DIP et les partenaires sociaux. La SPG, la FAMCO et l’AGEEP se sont donc associées à la FAPEO le 18 novembre pour apporter leur soutien solidaire et coordonné aux projets d’investissement du DIP en matière de numérique à l’école, refusant que le débat soit confisqué par des spéculations politiques et des galéjades.

 Le 18 octobre 2021 lors d’une conférence de presse, l’Association « Réfléchissons à l’usage du numérique et des écrans» ( RUNE ) dénonçait le déploiement du numérique dans les classes de l’école primaire et demandait, entre autres, au Grand Conseil de refuser le projet de loi – PL 13011. Munie de quelque six-cents signatures, déposée le 3 mai 2021, la pétition RUNE en faveur d’un « moratoire au sujet du projet du DIP de formation par le numérique à l’école primaire » a reçu le soutien de la commission des pétitions du Grand Conseil, qui l’a acceptée à une très large majorité. Mais pourquoi un moratoire ? Selon le texte de la pétition, le collectif RUNE souhaite alerter la population « sur la situation actuelle dans les écoles primaires », où «l’enseignement par le numérique ( … ) est déjà une réalité pour de nombreux élèves». Toutefois, sur le terrain, il est aisé de constater que ces pétitionnaires se situent justement dans la réalité virtuelle contre laquelle iels prétendent protéger nos enfants.

 

Un argumentaire postiche

 En effet, si des questions pertinentes et légitimes se posent autour de l’enseignement au et par le numérique, les professionnel·les de l’enseignement n’ont évidemment pas attendu RUNE pour se saisir de cet objet, discuté depuis maintenant quelques années au niveau de la CIIP et à l’interne des différents départements cantonaux en concertation avec les associations représentatives des enseignant·es. On est donc aussi loin du scénario précipité et catastrophiste dépeint par RUNE que de sa vision d’une école livrée au numérique. Si les projets retirés par le DIP en 2019 souffraient d’une approche trop indistincte et homogène pour répondre aux objectifs du Plan d’études romand ( PER ), les PL 13010 et 13011 ont au contraire été liés étroitement aux objectifs d’apprentissage définis par le PER numérique – aboutissement d’une large collaboration et d’un consensus intercantonal – où le numérique est défini comme science, outil et fait de société. Ces deux PL se distinguent donc de ceux qui les ont précédés par la précision et la variété des équipements demandés – adaptés à l’âge des élèves et aux besoins des enseignant·es.

Quelques clés de lecture pour comprendre le projet de loi 13011 semblent nécessaires au collectif susmentionné, dont l’argumentaire postiche relève, soyons honnêtes, de l’escobarderie la plus primaire. Les PL incriminés ne visent en effet qu’à équiper strictement et plutôt minimalement les classes des écoles genevoises d’outils divers et indispensables pour permettre aux enseignant·es de travailler. Les enseignant·es sont par ailleurs parfaitement capables de déterminer le matériel nécessaire à la mise en œuvre d’une séquence d’enseignement, adapté aux objectifs d’apprentissage et aux besoins des élèves. Il n’a donc jamais été ici question de « numériser » l’école et d’imposer aux jeunes un monde tout numérique. Bien au contraire : si les chiffres présentés peuvent impressionner, concrètement 7000 tablettes ne représentent, au cycle élémentaire, qu’une tablette pour 25 élèves. Pas de quoi invoquer l’époque bénie du temps d’avant, les rétines de nos chérubins sont sauves, préservées de la gargantuesque surexposition à la lumière bleue fantasmée par les détracteurs de ces projets de loi.

 

Des exigences très actuelles

 Toutefois, loin de l’imaginaire fécond de nos pétitionnaires, l’école genevoise est en réalité sous dotée et la SPG demande d’ailleurs divers équipements depuis maintenant plusieurs années, dont des ordinateurs pour les enseignant·es d’arts visuels, des mopieurs couleurs, des ordinateurs portables ou même des tablettes ( eh oui ! ). Pour illustrer le propos, on ne citera que la disparition progressive des cartes géographiques ( qui sont, pour celles qui restent, la plupart fausses ou obsolètes), des diapositives et des rétroprojecteurs ( heureusement ! ), qui ne sont remplacés par aucun outil alternatif permettant de projeter des images aux élèves. Ainsi, le meilleur moyen de montrer une carte dans une classe genevoise reste encore de réunir vingt-cinq élèves autour d’un ordinateur plutôt vétuste constituant, à lui seul, le vague équipement numérique dans la plupart des écoles primaires. Au cycle d’orientation, le PL 13010 vise notamment à pallier l’impossibilité structurelle de mettre à disposition des salles d’informatique dans les établissements scolaires que le canton peine à construire. Enfin, dans les filières de la formation professionnelle, le monde du travail exige des écoles équipées pour transmettre les compétences numériques sans lesquelles de nombreux métiers ne pourraient être aujourd’hui exercés.

De plus, la SPG, la FAMCO et l’AGEEP s’accordent sur le fait que l’éducation au numérique est indispensable au vu des enjeux importants que soulève le développement technologique et qu’elle ne peut rester le privilège et l’apanage des écoles privées. Ces PL satisfont donc non seulement à une obligation contractuelle qui est aujourd’hui de répondre aux objectifs du PER, mais également à une demande forte du corps enseignant.

 

Démagogue un jour … 

Si certaines inquiétudes concernant le déploiement numérique sont compréhensibles, il est malheureux de propager l’image d’une école tout numérique qui n’existe pas. Il est en effet impossible de débattre quand les arguments avancés reposent uniquement sur des spéculations politiques et des affabulations. La vérité est si facile à vérifier qu’il est légitime de se demander pourquoi l’escobarderie de certains politiciens persiste à mener le débat. Il suffit en effet d’aller dans une classe, de lire les textes de loi, d’interroger de vrai·es enseignant·es, mais quand le débat se situe à un niveau idéologique et politique, il devient inutile de s’embarrasser de faits. D’ailleurs, quand il est question d’école et surtout de refuser un crédit au DIP, le PLR n’est jamais loin. Comment se fait-il que la commission des pétitions ait jugé inutile d’auditionner les associations représentatives du personnel enseignant ? À qui Pascal Décaillet déroula-t-il une fois de plus le tapis rouge sur Léman bleu pour parler de projets de loi qu’il ne se donna pas la peine de lire et d’une école qu’il ne connait pas ? Vous l’aurez deviné : Jean Romain. C’est donc à ce pourfendeur, avant-hier de l’écriture inclusive, hier de l’orthographe rectifiée et aujourd’hui du numérique que le journaliste de Léman bleu tendit le micro pour comprendre en quoi cette « école numérique » serait si redoutable et pourquoi il faut absolument en préserver nos élèves les plus jeunes, la demande de moratoire ne portant que sur le primaire. Élèves que Monsieur Romain n’a pas la compétence et encore moins la légitimité d’évoquer, puisqu’il n’a plus posé les pieds dans une classe du cycle élémentaire depuis probablement sa propre scolarité, en des temps que l’on n’osera qualifier de reculés. Ce ne sont donc que rodomontades et boniments que ce hâbleur de la droite conservatrice aura servi ce soir-là aux citoyen·nes genevois·es ayant l’outrecuidance de vouloir se renseigner démocratiquement sur la question du numérique à l’école. Le refus et surtout le silence autour de nos diverses interpellations suffisent à montrer qu’on ne cherche pas à analyser des faits. Quel autre objectif peut poursuivre cette campagne reposant sur la peur contre un projet de loi, fruit d’une consultation large et constructive, si ce n’est de discréditer la gauche et les enseignant·es tout en s’octroyant en passant une visibilité non négligeable en période préélectorale ? Si la droite veut encore refuser un budget à l’école et tout particulièrement à l’école primaire, qu’elle l’assume et qu’elle le clame, voire le revendique au lieu de prétendre vouloir protéger des enfants d’une menace montée de toute pièce. De notre côté, nous rétablirons les faits inlassablement et nous ne les laisserons plus confisquer ce débat qui revient aux professionnel·les de l’enseignement et non à quelques démagogues en mâle d’attention.

Francesca Marchesini, présidente de la SPG


Photo de Julia M Cameron provenant de Pexels.

Ce billet est paru dans le journal L’Educateur · Décembre 2021