Bis repetita …
Le 17 décembre 2021, le Parlement adopte la réforme AVS 21. Dans le but « d’assurer l’équilibre financier de l’AVS » et « de maintenir le niveau des prestations de l’AVS ». Cette réforme prévoit entre autres une « harmonisation » de l’âge de référence entre hommes et femmes, en relevant l’âge de la retraite de ces dernières à 65 ans, une « incitation » à poursuivre l’activité lucrative après 65 ans en introduisant une flexibilisation du départ à la retraite jusqu’à 70 ans et un financement additionnel par le biais de la TVA.
S’il est évident, avec l’augmentation de l’espérance de vie et la diminution du nombre de cotisant·es, que l’AVS doit être réformée, cette assurance vieillesse et survivant·es demeure l’une des conquêtes syndicales majeures de la première moitié du XXe siècle. Toutefois, plus encore que le déséquilibre entre rentiè·res et cotisant·es, la principale menace qui pèse sur notre AVS, c’est l’acharnement des élu·es de droite qui, législature après législature, s’entêtent à l’affaiblir alors qu’elle mériterait au contraire d’être renforcée.
Mais l’AVS, c’est quoi ?
L’AVS, c’est plus de septante ans de justice sociale, de répartition entre générations, de gestion publique et transparente des retraites. C’est le pilier majeur de notre système social et son seul défaut est d’être trop peu valorisé en regard des 2e et 3e piliers qui, eux, sont tenus essentiellement par des assureurs privés et fonctionnent par capitalisation.
Une réforme antisociale …
La réforme AVS21 n’est qu’un épisode de plus de cet acharnement contre ce que nous devrions toutes et tous considérer comme un bien public. Depuis des décennies, la droite cherche à précariser les plus précaires d’entre nous, pour favoriser les employeurs et les plus fortuné·es. En l’occurrence, le parlement ne prend même pas la peine de proposer des recettes originales, puisque les deux propositions-clés de ce nouveau projet sont en tous points identiques à celles qui avaient déjà été refusées par le peuple en 2017 : élever l’âge de la retraite des femmes et augmenter la TVA.
L’augmentation de la TVA parait anodine. Mais il s’agit d’une mesure profondément anti-sociale qui taxe à un taux identique la consommation de chacun·e : les plus précaires dépensent mensuellement la quasi-totalité de leurs revenus, qui sont ainsi frappés par la TVA ; tandis que les plus favorisé·es ont la possibilité d’en épargner ou d’en investir une partie, qui sera donc exonérée de TVA.
… et sexiste
Cependant, l’essentiel de la réforme serait en effet exclusivement supporté par les femmes, qui, malgré les inégalités sociales qu’elles continuent à subir, sont priées de sacrifier une année supplémentaire de leur vie pour le bien commun. Rappelons qu’au-delà des inégalités salariales documentées depuis de nombreuses années, ce sont encore les femmes qui, très majoritairement, accomplissent au quotidien des tâches domestiques non rémunérées ( soins, éducation, entretien ). La bicatégorisation hiérarchisée de genre qui structure notre société patriarcale associe les hommes à la culture et à la production et les femmes à la nature et à la reproduction. Ces dernières seraient donc « naturellement » vouées au cycle naturel de la reproduction, raison pour laquelle, en plus de devoir assumer ces tâches au sein de leur foyer, elles sont professionnellement surreprésentées dans les secteurs du care ( soins, éducation, entretien ) où les compétences requises sont perçues comme une extension de leurs capacités naturelles.
Être une femme : travailler gratuitement à la maison, mais pas seulement …
Le corps enseignant de l’école primaire et de l’enseignement spécialisé est composé à 85 % d’enseignantes, dont près de la moitié travaillent à moins de 90 %. La division sexuée du travail contraint encore aujourd’hui les femmes, et donc les enseignantes, à réduire leur taux de travail, voire à interrompre leur activité professionnelle plusieurs années d’affilée renonçant ainsi à une part importante de leur salaire et de leur retraite.
Malheureusement, il n’y a pas que dans leur foyer que les femmes travaillent gratuitement. En effet, diverses études démontrent que les enseignant·es, qui effectuent en moyenne pour un plein temps 10 % d’heures de travail supplémentaires non rémunérées ( environ 180 heures par année ), tendent à en effectuer proportionnellement davantage plus leur taux de travail est bas. Si cela s’explique notamment par les tâches incompressibles liées à notre fonction, qui demeurent les mêmes que l’on travaille à 50 % ou à 100 %, c’est surtout dans la dévalorisation des métiers du care, mal considérés, que réside l’explication sociale de cette inégalité structurelle.
La généralisation de l’idéologie néolibérale structure le fonctionnement social, réduisant la diversité des interprétations du monde à des jugements basés sur la valeur monétaire. Les secteurs qui ne produisent pas de richesses comptabilisables, dont les compétences polymorphes sont également difficilement quantifiables, sont dévalorisés aux niveaux social et salarial. Les secteurs du care souffrent ainsi tout particulièrement de cette lecture capitaliste et productiviste de la reconnaissance du travail. Ces métiers ne sont donc pas considérés comme de « vrais » métiers et le travail de ces prestataires n’apparait donc pas comme un « vrai » travail. Leur pénibilité est d’ailleurs très mal reconnue, voire totalement invisibilisée.
Puisque les femmes ne travaillent pas vraiment, il est donc normal de leur demander d’en faire toujours davantage. Au sein du DIP, cette dévalorisation sociale du travail des femmes, prétendument vocationnel, se traduit par l’exigence d’une dévotion quasi religieuse à l’institution et d’une disponibilité totale, même sur ses jours de congé, par l’imposition de tâches qui ne relèvent pas de leur cahier des charges et par un refus catégorique de reconnaitre l’explosion des heures supplémentaires effectuées. La haute conscience professionnelle des enseignantes les conduit d’ailleurs bien trop souvent à compenser le manque de ressources attribuées systématiquement à l’école primaire et à l’enseignement spécialisé, au détriment de leur santé. Le manque de reconnaissance de l’employeur de l’effort consenti et de son cout est d’ailleurs un facteur largement aggravant de la souffrance au travail. Malgré les relances itératives de la SPG, le DIP et la DGEO ne semblent pas encore vouloir se saisir de ce dossier, alors même que l’État devrait non seulement se montrer exemplaire en termes d’égalité, mais également chercher proactivement à tous les niveaux de compenser les inégalités systémiques d’une société profondément sexiste.
À vos stylos !
Dans tous les cantons, les syndicats et les partis de gauche luttant contre cette réforme ont formé des comités unitaires pour piloter le référendum. Vous trouverez auprès de vos collègues et sur le site de la SPG des formulaires de signatures et des argumentaires. La bataille est lancée, une fois les signatures récoltées, il faudra faire campagne pour renvoyer le projet à l’expéditeur en espérant que cette fois, il comprendra que, pour sauver l’AVS, il faut la renforcer et, pour la renforcer, il faut imaginer, une fois n’est pas coutume, un financement ambitieux et juste.
Francesca Marchesini, présidente de la SPG
Ce billet est paru dans le journal L’Educateur · Février 2022