Billet piquant d’un bilan pas brillant: deuxième partie

Si la magistrate socialiste a dû faire face aux tensions budgétaires ouvertement hostiles et peu portées sur la défense d’une école publique de qualité, la Cour des comptes, dans un rapport de 2022 sur l’Office Médico-pédagogique (OMP), relève cependant au sein du département un « climat de peur » qui ne peut être imputé seul au contexte sociopolitique. Son mode de gouvernance a en effet généré irrémissiblement un environnement défavorable à la remontée d’informations contribuant en grande partie à la fragilisation actuelle du Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse ( DIP ). Entre les différents degrés de direction ayant servi de fusibles lors de crises susceptibles d’affecter l’image du département et le manque de soutien apporté aux enseignant·es sur le terrain en cas de violences extrêmes d’élèves ou face aux parents quérulents, le personnel a assimilé qu’en cas de problème, il serait livré à lui-même.

Ces dernières années, quelques parents ont ainsi pu influencer l’évaluation de leurs enfants en interpelant directement les directions d’établissement ou la DGEO, et ont été légitimés à interférer dans la vie privée des enseignant·es. Un parent a obtenu qu’une collègue soit contrainte de supprimer une publication, dont la forme ne lui seyait pas, sur une page privée d’un réseau social dont il ne faut pas citer le nom, alors qu’un autre est parvenu par ses actions à faire interdire à une collègue d’exercer une activité accessoire. Cette ingérence dans la vie privée des enseignant·es aussi effarante qu’inquiétante, relève d’une grave dérive contre laquelle il faut fermement s’ériger. Le lien particulier que semble entretenir la conseillère d’État avec les affaires de mœurs et l’arduité avec laquelle elle les appréhende ont légitimé une contrainte qui porte à croire que le temps où l’État pouvait décider du statut marital des institutrices n’est définitivement pas si lointain. Par ailleurs, tout en ayant fortement réduit l’autonomie des enseignant·es, mais aussi des directions d’établissement via un régime de surprescription et d’hyper contrôle toujours plus centralisé, le département a pris l’habitude de renvoyer systématiquement l’enseignant·e dans toutes les situations délicates, à sa responsabilité individuelle. Ces deux tendances en apparence contradictoires où les directives émises par le Service enseignement et évaluation (SEE) vont jusqu’à indiquer les modalités de corrections autorisées pour la correction des devoirs, mais où le département n’est jamais responsable de rien, ont fini par établir un climat où plus personne ne sait exactement ce qu’il peut ou doit faire, mais où toutes et tous ont intégré que le droit à l’erreur n’est pas de mise.

Si cette gestion RH particulièrement rigide et sévère, relevant parfois même de l’arbitraire, a généré un fort sentiment d’insécurité parmi les acteurs et actrices du terrain, à la tête du département on ne compte plus le choix des nominations laissant perplexe quant aux profils retenus. Qu’est-il attendu de ces cadres supérieur·es : bénéficier des bonnes accointances, notamment politique, et exécuter les ordres sans faire de vague ? Cette partialité affichée jusque dans les plus hautes sphères n’est pas de nature à inspirer confiance et n’a fait que renforcer l’idée selon laquelle il vaut mieux développer au sein du DIP de bonnes relations que de bonnes compétences.

Une politique libérale attaquant la formation continue et l’accès à l’art

Après la fermeture du site de Pinchat en 2010, le service de la formation de la DGEO a progressivement été démantelé, finalisant ainsi l’atrophie du perfectionnement professionnel déjà mis à mal par la suppression de la formation continue sur le temps scolaire. La mesure de l’impact de cette décision ne semble toujours pas avoir été prise. Alors que tous·tes les fonctionnaires peuvent se former, dans une perspective de perfectionnement professionnel, sur leur temps de travail, les enseignant·es du DIP seraient aujourd’hui les seul·es à assumer de plus en plus de tâches qui ne relèvent pas directement de leur cahier des charges, à voir leur profession évoluer en un temps aussi court, mais à devoir se former le plus souvent à leurs frais et sur leur jour de congé pour répondre aux exigences nouvelles et toujours plus nombreuses requises pour la fonction. La participation aux formations catalogues a évidemment beaucoup diminué et l’offre s’en est trouvée réduite proportionnellement, faute de participant·es. La perspective dans laquelle a été troquée la formation sur temps scolaire contre quelques postes s’inscrit dans une vision purement libérale où l’impact tant sur la posture professionnelle que sur les relations humaines n’a pas été pris en considération. Dans la perspective où l’enseignant·e serait un·e exécutant·e qui se contente d’appliquer les moyens d’enseignement, comme de simples recettes de cuisine, la formation continue relève effectivement d’une importance moindre, sauf, bien sûr, pour normer les pratiques ( recyclages ). L’évolution conjecturable d’une telle vision de l’enseignement est un simulacre de formation prodigué par capsules vidéo proposées dans le cadre d’un e-learning – offrant l’illusion de pouvoir contrôler la participation – sans permettre l’échange entre pair·es ou expert·es, autour des contenus diffusés. Seules les formations d’établissements peuvent encore se dérouler sur temps scolaire, mais même ces dernières semblent être soumises à des contraintes toujours plus aliénantes et le SFCEO se réserve le droit de refuser les projets de formation dont la plus-value pédagogique n’aurait pas été démontrée, comme « l’école dehors ». Ces diverses décisions ont conséquemment impacté une des fonctions les plus malmenées par ces deux législatures, à savoir les coordinateurs et coordinatrices pédagogiques (CP) dont le collectif a été dissout pour être rattaché hiérarchiquement aux établissements primaires, contre leur gré, tout en continuant à les mobiliser principalement au service du SEE. L’important turn-over, les nombreux arrêts qui se prolongent et la difficulté qu’a la DGEO à les recruter sont autant d’indicateurs de la maltraitance institutionnelle infligée aux CP et du manque de considération accordé au perfectionnement professionnel des enseignant·es.

Parallèlement, depuis dix ans les MDAS ont vu leurs ressources diminuer drastiquement, tout particulièrement dans les disciplines artistiques. En perdant d’abord les heures spécifiques qui permettaient d’établir un lien entre les milieux artistiques et culturels et les établissements ( projet artistique collectif, décor pour la fête d’école, décloisonnement, visite au musée, formations artistiques pour les titulaires selon les projets, concerts, chorale, etc. ). Des projets, parfois d’ampleur, subsistent mais ne sont donc plus rémunérés. Par la suite, les mandats ont remplacé les heures spécifiques tout en restreignant considérablement l’offre. Le nombre de mandats et les périodes allouées ont diminué continuellement. Finalement, l’année dernière, le statut des mandats a été modifié : ils ne sont plus considérés comme des périodes mais comme des périodes administratives, exigeant des MDAS in fine de fournir plus de temps de travail pour une période identique au poste. 

Les prestations affectées aux MDAS pour École & Culture ont considérablement diminué ces dix dernières années : le catalogue proposait 81 périodes en 2011 pour 34,5 en 2022. Cette diminution révèle également l’épuisement face aux difficultés rencontrées pour s’investir dans ces prestations. En attaquant les fonctions minorisées du DIP, comme les CP, les FCPES ou les MDAS en l’occurrence, le DIP choisit délibérément de sacrifier des prestations considérées moins fonctionnelles. Ici c’est l’accès à la culture qui est ciblé, traduisant un renoncement affiché à réduire les inégalités entre les classes populaires et les classes favorisées dont la distinction s’opère notamment à travers leur rapport à l’art.

Mise à mal du partenariat social et des professionnel·les

Il y aurait encore beaucoup à dire, mais pour conclure, je dirais que le mépris et le dédain pour le personnel enseignant du primaire et du spécialisé semble avoir caractérisé tout particulièrement la politique menée par la conseillère d’État. Entre les crises successives, telles que le drame de Mancy, directement liées à son mode de gestion, et celles qui ne pouvaient être prévenues à son niveau, comme la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, son discours est néanmoins systématiquement marqué par son incapacité ou son refus de valoriser le travail des enseignant·es sur le terrain. Ces crises ont également été prétexte à diminuer davantage la consultation des partenaires déjà réduite à une portion congrue. Les commissions qui n’ont tout simplement pas disparu sont aujourd’hui pour la plupart moribondes. Elles ne sont plus consultatives que de nom, car toutes les décisions sont prises en amont. Si par ailleurs le secondaire II tend à monopoliser le temps de parole en commission paritaire du statut, il revient à la présidente de séance, soit la secrétaire générale, de couper ces interminables échanges stériles qui enraient le traitement des dossiers. Le fait qu’elle n’en ait rien fait porte à croire que le département trouvait un avantage à cette forme d’obstruction. Ainsi, quels que soient les enjeux de ces prochaines législatures, il semble que la priorité soit aujourd’hui de restaurer un véritable partenariat social fondé sur le respect réciproque et la transparence, où il n’est pas nécessairement d’être toujours d’accord, mais qui permette en revanche de vraies discussions pour construire une école plus ouverte, juste et inclusive.

Francesca Marchesini, présidente de la SPG

Paru dans lÉducateur, mai 2023