L’actualité récente me conduit à mettre sur pause ma série d’articles sur les propositions d’optimisation de l’organisation du travail des directions d’établissements  primaires que je reprendrai le mois prochain. En effet, le Grand Conseil de Genève a adopté le 2 février la loi 11926 pour raccourcir d’une année la formation initiale des enseignant·es de l’école primaire.

Lors de cette séance du 2 février, les arguments présentés par les partis de droite pour soutenir ce projet de loi (PL), déposé en 2016 par Jean Romain, relevaient davantage d’un profond mépris à l’égard de notre travail et de l’amateurisme, voire tout simplement de la mauvaise foi. Outre les propos parfois franchement outranciers et dénigrants, aucun fait fondé n’a été présenté faisant de ce débat une guerre idéologique entre la droite et la gauche où l’avis des personnes concernées n’a jamais vraiment été sollicité ou prise en considération. Pourtant, comme le dit Léa Frischknecht dans la Tribune du 27 février, « qu’on soit pour ou contre les différentes propositions de la droite pour économiser sur l’éducation, l’enseignement demeure un métier d’utilité publique qui mérite considération ». Plus que la considération, ce respect qu’un·e représentant·e du Parlement doit à l’égard des fonctionnaires qui s’occupent de leurs enfants est peut-être ce qui fait le plus profondément défaut dans ce débat. Il est pourtant inacceptable, même dans le but de faire des économies, de dénigrer l’ensemble d’une profession qui est tous les jours sur le terrain au service de la population. À ce titre, la SPG a adressé le courrier ci-dessous au Grand Conseil, notamment pour demander au député Stéphane Florey qu’il présente publiquement ses excuses auprès du corps enseignant primaire. Cette lettre, que je me permets de retranscrire ici, a été lue à haute voix lors de la session du Grand Conseil du 29 février.

 

Madame la présidente du Grand Conseil,
Mesdames les députées,
Messieurs les députés,

La SPG est profondément choquée par les interventions de certain·es député·es dans le cadre du débat parlementaire autour de la loi 11926 sur la suppression d’une année d’études pour les futur·es enseignant·es de l’école primaire le 2 février 2024.

Elle tient ici à dénoncer fermement le caractère hautement dénigrant de certains propos tenus lors de cette plénière à l’égard de l’ensemble du corps enseignant primaire qui œuvre tous les jours dans un contexte rendu de plus en plus difficile, entre autres à cause des restrictions budgétaires dont l’école primaire et l’enseignement spécialisé ont tout particulièrement été la cible ces dernières années.

Par ailleurs, elle considère que la majorité parlementaire ayant adopté cette loi a, ce faisant, manifesté son profond dédain à l’égard du corps enseignant primaire en dénigrant son travail sur le terrain, en invoquant des faits erronés, en surgénéralisant des témoignages isolés et en négligeant une fois de plus la parole des véritables expert·es ou plus simplement la littérature scientifique pour juger une profession qui lui reste profondément méconnue. Au nom de la démocratie, il lui semble que les débats devraient être menés avec davantage de rigueur intellectuelle et qu’il relève de la responsabilité des député·es de s’assurer de la véracité des faits allégués.

Aussi, la SPG attend de la présidence du Grand Conseil que, le cas échéant, les propos indignes proférés à l’égard de l’ensemble d’une profession exercée par des fonctionnaires de l’État soient recadrés séance tenante, et que leur caractère inacceptable soit clairement signifié à leurs autrices et auteurs.

Ainsi, le député François Baertschi, en affirmant que le modèle actuel ne « marche pas », dénigre l’ensemble des enseignant·es primaires genevois·es formé·es par l’Université depuis 1996, et dont le travail n’est visiblement pas à la hauteur de ses attentes. La SPG signale également à la députée Natacha Buffet-Defayes que l’enseignement, même dans les premières années de la scolarité, ne se résume pas à appliquer « quelques trucs et astuces ». Dans le même ordre d’idée, si les député·es PLR et le député Xavier Magnin notamment prétendent parler au nom des quelques étudiant·es qui auraient choisi de se former dans le canton de Vaud, il aurait fallu, ne serait-ce que par honnêteté intellectuelle, qu’ils cherchent également à parler tant aux représentant·es des étudiant·es que des enseignant·es au lieu de capter leur parole pour évoquer un métier qu’ils connaissent vraisemblablement très mal. Par ailleurs, en cas d’intérêt, la SPG, puisqu’ils se permettent d’ériger quelques exemples anecdotiques en généralités, est également en mesure de leur présenter des étudiant·es issu·es d’autres cantons romands qui a contrario ont choisi d’étudier à Genève pour bénéficier de sa formation universitaire en quatre ans.

Plus indécent encore, le député Stéphane Florey se demande s’il faut vraiment un master pour « torcher des fesses ». Bien qu’il se contentât ici de citer un ancien conseiller d’État, l’association professionnelle et syndicale soussignée considère ce propos totalement inadéquat pour deux raisons. D’abord, il laisse entendre que ce geste professionnel serait de nature dégradante et qu’il ne nécessiterait aucune compétence. Or, à l’inverse du député Florey, elle considère que « torcher » par exemple les fesses des enfants des autres ou de personnes âgées relève du « prendre soin » et requiert de hautes compétences, notamment communicationnelles qui s’acquièrent par la pratique certes, mais aussi par la formation. De surcroit, malgré le respect que la SPG porte à ces tâches traditionnellement considérées comme féminines, exercées principalement dans le cadre de professions, hélas peut-être encore plus déconsidérées que l’enseignement primaire, il s’avère que « torcher des fesses » ne relève nullement du cahier des charges des enseignant·es. Ces propos traduisent principalement l’immense mépris que porte ce député à l’égard des professionnel·les, dont il s’est arrogé le droit de définir les besoins en formation, comme tant d’autres ce 2 février, sans la moindre consultation, en toute méconnaissance de cause. À ce titre, la SPG demande à travers ce courrier que le député Florey s’excuse publiquement auprès des enseignant·es de l’école primaire et peut-être plus globalement auprès de toutes les femmes dont le travail consiste — entre autres — à « torcher des fesses », visiblement indignes de son intérêt ou de sa considération. Ce n’est en effet pas parce qu’il est lui-même probablement dépourvu de la formation et de l’empathie nécessaire à l’exécution de cette tâche, qu’elle ne requiert aucune compétence ou formation.

Par ailleurs, la SPG s’étonne, dans le cadre d’une composition parlementaire fortement modifiée par la nouvelle législature, que le gouvernement actuel se soit opposé si catégoriquement à un renvoi en commission d’un texte déposé en 2016, refusant ainsi non seulement d’entendre les expert·es concerné·es en première instance, mais également de considérer l’évolution du contexte scolaire depuis l’intégration la même année dans la loi sur l’instruction publique (LIP) des dispositions de la loi sur l’intégration des enfants et des jeunes à besoins éducatifs particuliers ou handicapés (LIJBEP).

Aussi, la SPG regrette que la loi 11926 ait été adoptée sur la base d’arguments infondés, voire fallacieux. Pourtant, le respect des citoyen·nes que le parlement est censé représenter consisterait à se renseigner à minima sur l’objet même du vote afin d’assurer un débat sérieux et honnête, fondé sur des faits et non des dogmes. À ce titre, les enseignant·es de l’école primaire et de l’enseignement spécialisé invitent chaque année les député·es dans leurs classes ou dans leurs écoles afin qu’ils puissent constater de leurs yeux la complexité réelle du métier et baser enfin leur jugement sur des faits. Ainsi, la SPG profite de ce courrier pour encourager les député·es à répondre favorablement à ces invitations réitérées, restées lettre morte à ce jour.

En vous remerciant par avance de l’attention portée à ces lignes, je vous prie d’agréer, Madame la présidente du Grand Conseil, chère Madame, Mesdames les députées, Messieurs les députés, l’assurance de ma haute considération. 

La réponse ne s’est pas fait attendre. En plénière, le député Florey a qualifié notre courrier d’injurieux et de scandaleux. Et le député Baertschi a répondu, par écrit, qu’il considère que la SPG ferait un procès d’intention pour le seul motif que nous ne partagerions pas les mêmes opinions et que le dédain dont elle l’accuse est bien sûr inexistant. Après avoir comparé la conception du comité de la SPG à celui d’un régime totalitaire, il affirme avoir le plus grand respect pour les enseignant·es comme pour les employé·es de la fonction publique et tous les habitants du canton de Genève.

Francesca Marchesini, présidente de la SPG.

Article paru dans l’Educateur, mars 2024