En écho au discours de Saint-Pierre marquant l’investiture du nouveau Conseil d’État, le Cartel intersyndical lui adresse ce jour, le document « Enjeux prioritaires et revendications du Cartel intersyndical pour la législature 2023-2028 », validé à l’unanimité par son Assemblée des délégué-es du Cartel du 15 juin 2023.

Ce document dresse en préambule le bilan, particulièrement mitigé, de la politique du personnel du Conseil d’État sortant. Sur l’évaluation des fonctions, le Cartel salue l’abandon de Score et l’accord trouvé pour entamer les travaux sur G’Evolue. En revanche, il déplore entre autres : un partenariat social trop souvent malmené, oublié, voire attaqué ; la suspension ou l’octroi partiel des mécanismes salariaux (renchérissement et annuité) utilisés itérativement comme variables d’ajustement pour diminuer les déficits budgétaires ; les besoins en postes pour les secteurs en souffrance systématiquement sous-évalués ; l’attaque sur les fondements des droits du personnel et du droit public (refonte LPAC).

Prenant acte des difficultés passées, le Cartel intersyndical souhaite que cette nouvelle législature ouvre la porte sur une dynamique constructive et progressiste, fondée sur le dialogue. Le Cartel intersyndical relève à cet égard, le rôle moteur joué par la fonction publique pour l’amélioration des conditions de travail de l’ensemble des personnels tant dans le secteur public que privé.

Le Cartel attend ainsi du nouveau Conseil d’État le respect des processus démocratiques de discussion et l’ouverture de négociations pour tendre vers une amélioration des conditions de travail du personnel, avec la mise en œuvre des revendications formulées dans le document adopté par l’Assemblée des délégué·es (Priorités et revendications du Cartel).

 

Le bureau du Cartel

Genève, le 15 juin 2023

Les organisations membres du Cartel intersyndical du personnel de l’État et du secteur subventionné dressent un bilan particulièrement mitigé de la politique du personnel du Conseil d’État sortant.

En 2018, elles ont salué une reprise des séances de concertation et une intention réciproque de renforcer un partenariat social appauvri durant la précédente législature. Force est de constater que le Cartel n’a que très peu été consulté sur les plans du Conseil d’État et que ceux-ci n’ont que trop rarement été négociés avec les représentant-es du personnel. Quelques exemples :

  • Le programme du Conseil d’État «Travailler Autrement», lancé en 2020, a été élaboré unilatéralement par celui-ci et ne parvient pas à rallier l’adhésion du personnel car il ne propose aucune mesure concrète en faveur daméliorations du bien-être, du climat de travail et de la qualité des prestations. Les objectifs annoncés visant à instaurer un climat de confiance ne sont pas atteints. Les organisations syndicales constatent au contraire un renforcement de la culture du contrôle, la disparition progressive du droit à l’erreur et des difficultés croissantes de communication entre les hiérarchies et le personnel au sein des différents départements.

  • Le projet de loi 13159 de refonte de la Loi sur le Personnel de l’Administration Cantonale (LPAC), attaque les fondements des droits du personnel et du droit public. Les demandes du Cartel sur l’avantprojet de loi n’ont pas été entendues et le projet de loi a été déposé sans qu’aucune véritable négociation préalable puisse avoir lieu. Le brusque dépôt de ce PL illustre le manque de considération du partenariat social et le peu de valeur que le Conseil d’État accorde à la concertation et aux négociations syndicales. Limiter drastiquement les voies et les droits de recours ainsi que les procédures de reclassement des membres de la fonction publique la fragilise profondément légitimant ainsi des licenciements politiques, économiques ou idéologiques. Faciliter le licenciement des fonctionnaires « qui dérangent » remet en question la garantie même de prestations neutres et impartiales auxquelles la population et les entreprises ont droit.

  • Les revendications syndicales liées à la Grève des femmes de 2019 n’ont pas été suivies de mesures et d’effets notoires et visibles. Si ces revendications ont pu être exposées dans des instances paritaires (commission paritaire du statut B 5 05.01), elles n’ont, pour leur grande majorité, pas trouvé de solutions satisfaisantes et durables, hormis des clarifications concernant des droits aux extensions de revenus en cas de congés maladies et pré-maternité pour les mères, et les droits liés à la coparentalité. L’amélioration du droit fédéral, congés spéciaux et de naissances, n’a pas été suivie d’effets plus généreux sur les règlements et les directives cantonales.

Si le Conseil d’État a fait face à un contexte particulièrement instable et imprévisible, il a systématiquement reporté les déficits de ses budgets sur le personnel des services publics afin de diminuer les découverts. Le personnel a dû se mobiliser chaque année pour faire appliquer les mécanismes salariaux inscrits dans les lois et règlements et défendre ses annuités et la pleine indexation.

En 2020, pour le PB2021 une réduction salariale effective a même été envisagée et immédiatement combattue par le personnel. La systématicité des plans financiers quadriennaux (PFQ) supprimant ou/et suspendant les mécanismes salariaux s’en prend ouvertement aux droits du personnel.

Les besoins en postes sont globalement sous-évalués dans les projets de budget et régulièrement refusés par une majorité du Grand Conseil. Des crédits supplémentaires doivent être demandés ultérieurement à la commission des finances, pour combler les besoins (démographie, nombre d’élèves par classes, crises, etc.), pendant que d’autres secteurs restent en souffrance (inclusion, santé, social, police, TPG, etc.).

L’abandon de SCORE sera finalement la seule décision saluée par le Cartel. Un accord a été signé pour réaffirmer la volonté d’ajuster le système d’évaluation des fonctions (projet G’Evolue). Cependant, les moyens pour y parvenir ne sont pas garantis. Les demandes d’augmenter les salaires du personnel de la santé, du social et du nettoyage ont toutes été refusées, alors même qu’une grave pénurie de personnel formé est constatée à tous les niveaux. L’élargissement d’une prime pour tout le personnel des HUG a été refusée par le Conseil d’État, alors que le conseil d’administration l’avait plébiscitée.

Durant la législature 2018-2023, les droits à l’information et la liberté d’expression syndicale ont régulièrement été remis en cause. Le partenariat social a été malmené, oublié, voire attaqué. Des pressions ont été exercées sur le Cartel afin de limiter la diffusion d’information au personnel et au grand public. Ainsi, à plusieurs reprises, le Cartel intersyndical s’est entendu dire qu’il n’a pas à s’occuper de la politique fiscale, et s’est vu interdire toute communication au personnel sur ce sujet, alors que le Conseil d’État argue des recettes trop faibles pour justifier la baisse des droits salariaux.

Par ailleurs, le Conseil d’État s’est préoccupé des absences en hausse. Récemment un plan concernant les absences a été élaboré sans aucune consultation préalable des organisations du personnel. Ce projet, dont la mise en œuvre est déjà en cours, semble principalement répondre à une volonté de contrôle.

Sur la question de la perte de gain, depuis de nombreuses années, le Cartel demande des améliorations de la protection du personnel. Le Conseil d’État s’est braqué dans une posture dogmatique concernant la privatisation de la perte de gain, s’opposant à toute idée de garantir des droits au reclassement, à l’adoption du PL 12428-A (perte de gain dès la première année, autofinancement avec participation des employé-es, CDD assurés, etc.).

En conclusion, les besoins du personnel ont été peu entendus. Le personnel n’a pas constaté d’amélioration de ses conditions de travail, bien au contraire, à l’exception peut-être de l’assouplissement attendu du télétravail qui a été facilitée par la pandémie. Le personnel est systématiquement soumis à une politique d’ajustement aux dépenses et voit son pouvoir d’achat baisser graduellement.

Le Cartel s’inquiète du glissement vers un système néolibéral, relevant du new public management qui devrait rester propre au secteur privé. Le Conseil d’État semble oublier que la fonction publique est soumise à de fortes pressions et doit de ce fait faire l’objet de protections particulières. Ces protections fondamentales pour éviter toutes formes de corruption et garantir des prestations de qualité, impartiales et égalitaires à la population.

Prenant acte des difficultés passées le Cartel intersyndical souhaite que cette nouvelle législature ouvre la porte sur une dynamique constructive. Il attend du Conseil d’Etat le respect des processus démocratiques de discussion et l’ouverture de négociations à tout changement sur les conditions de travail du personnel, ainsi que sur les revendications suivantes qu’il formule pour les cinq ans à venir.

Priorités et revendications du Cartel

Les organisations membres souhaitent ainsi, sans attendre, pouvoir échanger sur les demandes prioritaires du personnel listées ci-dessous. Elles demandent un calendrier de négociation, intégrant les demandes en cours (LPAC et revendications féministes).

1. Respect des annuités et indexations : engagement du Conseil d’État-employeur à respecter les droits et mécanismes salariaux ; à indexer pleinement les salaires du personnel ainsi que les rentes à l’inflation et à l’évolution du coût de la vie ; à s’engager à cesser de remettre en question le versement des annuités. Dorénavant, pour le Cartel, l’annuité ne fera plus l’objet de négociations avec le Conseil d’Etat.

2. Revalorisation des salaires : revalorisation immédiate des salaires dans les secteurs de la santé, du social et du nettoyage sans attendre un éventuel PL lié aux travaux de G’Evolue. Dans cette optique, des possibilités de primes ou autres mesures de revalorisation salariale et d’amélioration des conditions de travail devraient pouvoir être discutées sans délai.

3. Retrait du PL 13159 (LPAC) ; négocier les propositions du personnel pour garantir la protection contre la corruption et l’égalité de traitement, ainsi que l’employabilité et la mobilité choisie.

4. Renoncer à la privatisation du traitement des membres du personnel du service public en cas de maladie ou d’accident, légaliser le prélèvement nécessaire à son autofinancement (estimé entre 0.1 et 0.9% du salaire), garantir le traitement en cas d’incapacité de travail pour raison de maladie et/ou accident (730 jours pour les fonctionnaires, les employé-es et les CDD), protéger contre le licenciement du personnel en incapacité de travail pour cause de maladie ou d’accident.

5. Allocation de postes aux besoins du terrain pour effectuer les prestations selon les attentes et besoins de la population (les e-démarches dans l’administration et dans les secteurs subventionnés doivent constituer un complément et non pas une fin en soi).

6. Garantir le partenariat social et les droits syndicaux : la liberté d’expression ; des décharges avec remplacements nécessaires aux réunions, commissions, et manifestations ; des espaces de discussion et de travail commun ; des lieux de réunion ; des moyens de diffusion des informations.

7. Réduction du temps de travail sans baisse de salaire : ouvrir des négociations visant à mettre en œuvre une Réduction du Temps de Travail et soutenir des projets pilotes de RTT (32 heures ou 4 jours par semaine sans baisse de salaire) ; faciliter et promouvoir la mobilité choisie au sein de l’administration et dans le Grand État, notamment afin de concilier charges familiales et travail.

8. Implémentation d’une politique proactive pour favoriser l’inclusion et l’égalité, avec pour objectif d’optimiser les conditions de travail, de faciliter l’accès aux opportunités d’emploi au sein de la fonction publique et d’améliorer l’environnement de travail des femmes, des personnes racisées, des personnes en situation de handicap, ainsi que des personnes issues des minorités sexuelles et de genre. A cet effet, le Cartel attend des résultats et l’ouverture de négociations sur les revendications présentées par le Cartel dans le cadre de la grève féministe du 14 juin 2023.

9. Amélioration des congés spéciaux et congés de naissance : adapter le Règlement du Personnel de l’Administration Cantonale (RPAC) ; augmenter les congés spéciaux pour s’adapter aux besoins des personnes et étendre les congés de naissance de 15 jours au minimum. En regard de l’acceptation de l’initiative sur le congé parental, discuter avec le Cartel de son application afin de ne pas réduire les droits déjà acquis.

10. Favoriser la mobilité du personnel et l’aménagement des cahiers des charges ainsi que des taux d’activité au fil de la carrière. Le Cartel demande l’ouverture d’une négociation sur un « fond mobilité » qui permette au personnel de se former pour une réorientation souhaitée, de quitter des situations difficiles et parfois conflictuelles, d’alléger les fins de carrières, de retrouver des espaces bienveillants, de répondre à des limitations du travail liées à des problématiques de santé, etc.

11. Achever le projet G’Evolue durant cette législature avec une réduction des écarts salariaux, une valorisation des compétences dites « féminines » dans les notations des fonctions, l’abrogation des classes de salaire 4 et 5 tout en garantissant la transparence du système.

En outre, le Cartel souhaite :

12. Améliorer les actions et décisions en lien avec le Groupe de Confiance, la protection de la personnalité et la protection des lanceurs et lanceuses d’alerte. A cette fin, garantir le traitement sérieux des plaintes du personnel, en introduisant notamment la notion de « présomption de sincérité », en raccourcissant les procédures et en protégeant le personnel.

13. Introduire des journées de travaux, comme cela s’est déjà fait dans le passé, relatifs aux plans « absence » et aux stratégies RH (Ex : « travailler autrement »).

14. Renforcer le rôle des services publics dans la transition écologique et sociale, en développant des emplois « verts » et sociaux, en favorisant notamment les reconversions et les formations professionnelles pour y parvenir.

15. Le Cartel souhaite une politique fiscale suffisante et équitable pour garantir les postes, la formation, les droits salariaux et le cadre de travail, qui permette de répondre aux besoins de prestations de la population et des entreprises.

Considérant que l’engagement syndical profite à l’ensemble de la population et qu’il est principalement, voire exclusivement militant, le Cartel rappelle la nécessité du respect des droits syndicaux. Il est notamment nécessaire d’assurer que tout membre du personnel engagé dans des travaux sur les conditions de travail du personnel, puisse être déchargé et remplacé.

Document accepté à l’unanimité par l’Assemblée des délégué-es du 15 juin 2023.