Bis repetita non placent 

Toute analogie avec les élections présidentielles françaises ne saurait être que fortuite

Une fois de plus, le conseil d’État présente un bien meilleur bilan financier que celui budgétisé. Alors qu’il conjecturait un déficit de 847 millions, il a pu annoncer ce 31 mars un bénéfice de 49 millions. Ce différentiel frisant le milliard a de quoi mortifier la fonction publique réduite — par un ensemble d’opérations discursives et rhétoriques — à la principale charge du canton qui grèverait uniment, voire indument le budget du canton. Cette masse de fonctionnaires qui, à entendre les plus dogmatiques députés de droite, ne cesserait de croitre sans autre motif que de contrarier son bilan comptable ou de nourrir la vision idéologique d’une gauche irrémissiblement woke

Travailler plus…

Peu importe que ces fonctionnaires luttent pour sauver les services publics. Peu importe qu’iels compensent au prix de leur santé la baisse progressive des moyens alloués. Peu importe que la récente pandémie ait accru les inégalités sociales et économiques. La politique d’austérité menée afin de nous préserver de l’infamie d’une « dette » qui a pourtant cessé de croitre, s’est en effet particulièrement ressentie pendant cette crise où le seul engagement des fonctionnaires n’a plus suffit à absorber les besoins de services soumis à de fortes pressions budgétaires. Cet hiver, le système, tant dans l’enseignement régulier que dans l’enseignement spécialisé, a d’ailleurs montré ses limites, notamment concernant les remplacements. Ainsi, au plus haut de la vague omicron, de nombreux et nombreuses enseignant·es n’ont pu être remplacé·es faute de personnel, problématique qui semble perdurer depuis. Il n’est plus rare en effet de se faire appeler Arthur par un SEREP visiblement dépassé quand on a l’outrecuidance de faire appel à ses services. 

Pour gagner encore moins !

A l’école, ces deux dernières années ont été particulièrement éprouvantes et ce d’autant que les difficultés rencontrées par les collègues font l’objet d’une omerta institutionnalisée. Si le confinement a fait couler beaucoup d’encre dans la presse, la rentrée 2020 a été présentée par les autorités, à quelques nuances près, comme un retour « à la normale ». Les difficultés des professionnel·les du terrain sont systématiquement minimisées quand elles ne sont pas tout simplement niées. Or cette rentrée et les années qui ont suivi se sont avérées tout sauf normales. Soumises à la succession des plans sanitaires abscons et impraticables, elles ont été, au contraire difficiles, entre autres à cause du refus du DIP d’anticiper et d’échanger avec les associations professionnelles. L’injonction à faire toujours plus avec toujours moins a rarement autant pesé sur les épaules des enseignant·es et aussi concrètement ressentie. Et ce davantage encore, dans un contexte où les budgets demandés, pourtant systématiquement largement sous-évalués par le conseil d’État ont été refusé en 2020 et 2022 par le grand conseil. Bien que quelques crédits supplémentaires aient été octroyés par la commission des finances, ils étaient et sont toujours largement insuffisants pour relever les défis de l’école d’aujourd’hui et ne tiennent aucun compte des ravages des mesures sanitaires sur le plan pédagogique. Tout se passe comme si la crise avait affecté l’ensemble de la société, sa population, son économie, sa politique mais pas son système scolaire. 

Si l’on a beaucoup parlé de la défiance de la population envers les instances politiques pendant cette période de pandémie, incarnée notamment par les complotistes, il est intéressant de noter que la politique menée par les gouvernements démocratiques des pays occidentaux objective surtout la défiance des autorités envers les citoyen·nes. Pourtant, de la France à la Nouvelle-Zélande en passant par nos idylliques contrées helvétiques dans une moindre mesure peut-être, il faut malheureusement constater que les démocraties ont privilégié une gestion politique autoritariste de cette pandémie fondée non sur la confiance du peuple, mais sur sa peur. 

Une main de fer

A Genève, au DIP, cette factualité n’a jamais été aussi manifeste. Les rares tentatives de concertations menées par le DIP ou la DGEO ne visaient qu’à augmenter l’acceptabilité sociale de mesures sanitaires sans jamais parvenir à manifester le moindre intérêt pour les solutions, savoir-faire, innovations, formes de solidarités spontanées développées sur le terrain qui ont pourtant permis au système de « fonctionner » ces deux dernières années bien mieux que l’État lui-même. Il faut ainsi souligner l’indifférence systémique du DIP à tout ce que produit l’école primaire et spécialisée. Cette pandémie n’a fait qu’illustrer ce que la SPG dénonce depuis plusieurs années, i.e. que derrière une forme d’évanescence et de condescendance, il y a une main de fer qui refuse purement de considérer le partenariat social : tout ce qui a été imposé pendant ces deux législatures ne l’a été que sous l’apparence de la concertation. Malheureusement ce refus systématique du débat n’a généré que plus de défiance envers les autorités. Si l’urgence pouvait être invoquée en mars 2020, l’argument expire rapidement et toutes les décisions prises les deux années suivantes auraient pu faire l’objet de consultations afin de tenir compte a minima des besoins et de la réalité du terrain. Ce blocage du partenariat social a permis de perpétuer l’état d’urgence et de justifier la dénégation, en alléguant l’impossibilité de la concertation.

Cette crise aurait pu offrir l’opportunité de sortir du virage idéologique amorcé au début des années 80 par Reagan, Thatcher et Mitterrand (sic !), où, après le choc pétrolier, pour faire face au ralentissement de la croissance dans ces pays riches, la politique néolibérale qui impose désormais son tempo à l’échelle mondiale prétend recréer de l’emploi et réduire les inégalités en réduisant les impôts des grandes fortunes. Pourtant, la législature de Donald Trump atteste de l’ineptie même de ces arguties : aucune corrélation n’a jamais pu être établie entre la réduction de l’imposition des plus aisés et l’investissement sur les entreprises. Ainsi ces politiques fiscales ne font qu’affaiblir l’État social qui assure la protection des travailleurs et des travailleuses ainsi qu’une répartition des richesses plus juste à travers notamment des services publics de qualité. La concomitance entre ce tournant néolibéral et la remontée historique des inégalités de revenu et patrimoine au sein des pays industrialisés démontre par ailleurs qu’une telle politique économique n’est pas viable à long terme. 

Dans un gant luxueux de velours

Sauf à Genève me direz-vous où le conseil d’État se félicite de sa « bonne gestion » et « maitrise de charge » en annonçant un boni de 49 millions. Oui mais non. Chaque année la commination de la dette qui pèse sur les projets de budgets conduit le conseil d’État à sous-évaluer les besoins, imposant ainsi des conditions de travail toujours plus difficiles aux fonctionnaires et impactant évidemment négativement la qualité même des services publics. Depuis des années les syndicats luttent contre les mesures d’austérité et réclament plus de postes pour le terrain mais, il faut le dire, avec de moins en moins de succès. Parmi les motifs impérieux justifiant ces choix politiques, la dette et plus récemment la réforme de l’imposition des entreprises (RIE3) ou la crise COVID. Or, non seulement Genève a absorbé l’impact de la RIE3 et de la pandémie bien mieux et bien plus rapidement que prévu, mais peut de surcroît réduire sa dette. Ainsi cette méthode parfaitement cynique, mais non moins méticuleuse d’une politique ultralibérale consistant justement à réduire le financement des services publics pour leur reprocher par la suite leurs dysfonctionnements ne vise à terme qu’à présenter la privatisation de ces services comme la seule option raisonnable.

Alea non jacta est

Si le canton peut se permettre d’entreprendre des réformes particulièrement coûteuses pour soutenir ses entreprises, il est évident qu’il choisit à l’inverse de ne pas investir pour assurer des prestations de qualité à sa population. Dans l’enseignement primaire et spécialisé, le DIP ne cherche même plus à couvrir strictement l’inflation démographique. Non seulement, l’État ne garantit plus les prestations, mais favorise la péjoration de leur fonctionnement. Les efforts considérables qui ont pu être consentis pour maintenir des multinationales sur notre territoire, n’auraient pas dû se faire au détriment de nos écoles, nos hôpitaux et nos services sociaux. Or, si la montée des inégalités économiques résulte de choix de politiques fiscales, sociales et éducatives, c’est qu’elles ne relèvent pas d’un déterminisme absolu et qu’elles peuvent donc être combattues. Aussi, Genève est un canton riche et dynamique qui a les moyens d’offrir des prestations de qualité à sa population, mais qui choisit délibérément, de ne pas le faire au mépris des fonctionnaires et de la population. Pour l’instant.

Francesca Marchesini, présidente de la SPG


Ce billet est paru dans le journal L’Educateur · Mai 2022 

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