Quel bilan tirer après dix ans d’exercice de la conseillère d’État en charge du DIP du canton de Genève, Anne Emery-Torracinta ? Loin d’être mitigé, il semble au contraire rallier une relative unanimité … contre lui.

Politiques et enseignant·es se rejoignent, pour des motifs certes divers, sur le constat que l’école genevoise sort particulièrement fragilisée de cette législature socialiste. Du point de vue du personnel enseignant, ces deux mandats se caractérisent par une gestion clivante, autoritaire et rigide marquée par un effet de centralisation et la multiplication de contrôles intrusifs et peu utiles ne visant pas à améliorer le système, mais ayant contribué à déresponsabiliser le personnel de terrain et réduire son autonomie.

Une politique scolaire incohérente 

Projets divers et réformes protéiformes se sont succédé sans connaitre de véritables aboutissements : de l’école inclusive au numérique en passant par EP21 ou encore FO18, la magistrate n’est parvenue à mener à terme que très peu de ses ambitions annoncées. Outre le fait qu’elle ait peiné à rallier ses alliés politiques, elle n’a surtout que rarement su convaincre les enseignant·es, à l’instar de CO22 qui s’est caractérisé par leur extrême division. Quant à FO18, ce projet phare de la législature semble ne pas tenir toutes ses promesses. Il est en effet étonnant d’imposer à des élèves, en délicatesse avec la forme scolaire, des dispositifs désespérément traditionnels, alors qu’il y avait au contraire un terrain propice à l’innovation et l’exploration. In fine, si le bilan semble statistiquement flatteur, il n’en demeure pas moins que le dispositif FO18 se contente d’opérer une translation du décrochage scolaire au-delà de 18 ans. Maigre bilan pour les élèves en difficultés dans un département en mal d’imagination pédagogique.

L’école inclusive: de la bonne intention au constat d’échec

La refonte de la LIP en 2015, qui a intégré un chapitre sur les élèves à besoins éducatifs particuliers ou handicapé·es, a induit de hautes attentes auprès des enseignant·es de l’école primaire et du spécialisé, très majoritairement favorables au projet d’une école inclusive. Au regard de la mise en œuvre erratique, voguant au gré des circonstances, qui a été celle du département, leur déception a été proportionnelle aux perspectives ouvertes par cette finalité de l’école. Finalement, l’organisation de l’enseignement secondaire et la réforme nCO sont restées les seules véritables priorités du département.  Il n’est donc guère étonnant que les modifications imposées au primaire et à l’OMP ont presque systématiquement abouti à la péjoration des conditions d’apprentissage des élèves et de travail du personnel. Heureusement la tentative d’ajouter une 29e période à l’horaire des enseignant·es du primaire sans la moindre contrepartie a échoué.

De plus, dans le cadre d’une école qui se voudrait inclusive, il aurait fallu favoriser l’expérimentation, la multiplication des espaces pour inventer, créer et adapter l’enseignement, mais la logique comptable ( rationaliser, compter, minuter, standardiser ) et la volonté de contention de l’organisation ont finalement prévalu sur la réflexion pédagogique. De même, une des conditions de réussite de l’école inclusive aurait dû impliquer une collaboration plus étroite entre l’OMP et le primaire, mais force est de constater que c’est l’inverse qui s’est produit. D’ailleurs, le projet des équipes pluridisciplinaires impacté négativement par l’incohérence des décisions successives, ne répond plus aujourd’hui aux besoins identifiés à l’origine et a été ainsi, au gré des remaniements, évidé de son sens.

Vers un démantèlement de l’OMP qui ne dit pas son nom?

De nombreux indices laissent entrevoir, par ailleurs depuis plusieurs années, une volonté de dissocier le fonctionnement actuel de l’OMP qui tire sa spécificité justement de son intrication entre les pôles pédagogiques et thérapeutiques. Aussi, il semble bien qu’à l’orée de son dernier mandat, la magistrate soit sur le point de verrouiller son projet d’externaliser le thérapeutique. De ce point de vue, se profile une instrumentalisation de l’affaire du foyer de Mancy, alors même que ce naufrage institutionnel n’a fait que la démonstration de ce que dénonçaient les syndicats depuis des années, à savoir que les remaniements incessants des structures sans motifs fondés et une vision à court terme ont engendré une grande confusion. Cette désorganisation – peut-être mieux organisée qu’il n’y parait – aura finalement surtout érigé un écran de fumée masquant insuffisances et incompétences tout en diluant les responsabilités. Ce règne de l’incertitude instituée explique pourquoi les syndicats demandent uniment que les missions de l’OMP soient redéfinies et clarifiées. Une tâche d’autant plus nécessaire dans un contexte où les espaces de discussions ont disparu successivement. Les assises de l’enseignement spécialisé demandées chaque année par la SPG sont sans cesse renvoyées sine die, tandis que la conférence de l’instruction publique, la commission consultative des élèves en difficulté et la commission de l’enseignement spécialisé ont tout simplement été supprimées. Après dix ans de magistrature durant lesquels l’OMP a été la cible de critiques et d’un discrédit constant, émanant souvent du département auquel il appartient, notamment de la magistrate qui en portait la responsabilité et le dirigeait, n’est plus que l’ombre de lui-même.

Une dégradation continue des conditions de travail

Non seulement l’école primaire et l’OMP sont restés les parents pauvres du DIP, mais les conditions de travail du corps enseignant se sont considérablement dégradées ces dix dernières années. Ces deux mandats sont marqués par une augmentation globale du temps de travail : élévation de l’âge de la retraite de 62 à 65 ans pour le corps enseignant primaire et spécialisé, sans compensation ; non prise en compte de l’encadrement des repas dans le temps présence élève des enseignant·es spécialisé·es ; imposition d’un nouvel horaire pour les éducateurs et éducatrices de l’OMP n’ayant jamais fait l’objet de discussions avec les partenaires sociaux et l’augmentation de l’horaire des MDAS de deux périodes sans le moindre aménagement de leur charge de travail en 2016.

Le déficit de forces en secrétariat de l’école primaire couplé à l’inflation des charges bureaucratiques, notamment liées au suivi de l’élève, entraine mécaniquement un report du travail administratif sur les enseignant·es qui se voient déjà confier de plus en plus de tâches sans rapport avec l’enseignement ( soins, manutentions ). Il faut toutefois relever, non sans ironie, que si la magistrate n’a pas souhaité apporter une réponse à la complexification horaire et organisationnelle générée par l’introduction du mercredi matin imposé par son prédécesseur, elle a en revanche consacré beaucoup d’énergie à dénaturer sa vision d’une école de proximité, ancrée dans son quartier ou sa commune. Sous la pression du PLR, notamment, le nombre de directions d’établissements s’est réduit de plus d’un tiers et l’augmentation corolaire des MA entraine une centralisation qui tend à aligner le fonctionnement du primaire sur le secondaire. Dans cette perspective, un groupe de travail interne de la DGEO mandaté par le secrétariat général, dont la SPG a été exclue, a élaboré des scénarii qui tendent à diminuer encore le nombre d’établissements primaires et à les modéliser sur celui du cycle d’orientation.

Ces dix ans de législature se caractérisent également par un durcissement de la politique RH relevant d’une politique néolibérale incongrue en fonction de l’affiliation politique de la magistrate. Relevons notamment une conciliation de la vie privée avec la vie professionnelle toujours plus difficile alors que l’État promeut la qualité de vie au travail. L’inflation exponentielle des séances obligatoires ( réseaux, suivi des élèves, TTC, conseil des maitresses, etc. ), convoquées parfois même sur les jours de congé des collègues, l’interdiction récente pour les enseignant·es de travailler dans l’école de leurs enfants, l’illisibilité du cadre entravant l’accès aux droits et le durcissement de certaines directives, limitant notamment le droit aux congés extraordinaires sans traitement, à la formation continue externe ou à l’exercice d’une activité annexe, ne sont que des exemples parmi d’autres. Cette magistrature aura confronté les enseignant·es genevois·es aux impasses nées du hiatus entre le discours de l’institution et les moyens mis en œuvre, souhaités toujours à « couts constants », pour réaliser ses projets : inclure tous·tes les élèves, répondre à leurs besoins particuliers, affronter les crises sanitaires et migratoires, enseigner le numérique, prévenir le harcèlement, les maltraitances et le décrochage scolaire. Aux problèmes générés par ses propres dysfonctionnements, l’institution n’aura apporté que des réponses administratives, dénuées de la moindre ambition, augmentant généralement la charge de travail sans parvenir à soulager un système en souffrance.

Francesca Marchesini, présidente de la SPG

Paru dans lÉducateur, avril 2023